The Queen Elisabeth
Ultra-trail, 24 heures et aventure, Elisabeth Hawker a multiplié les expériences à l’automne 2011. Après sa victoire sur le Tour du Mont-Blanc et son record du Monde du 24 heures sur route, Lizzy a dû renoncer à son Great Himalayan Trail au Népal. Dans la foulée, elle s’est engagée sur l’Everest Sky Race où elle s’est classée troisième, derrière deux Népalais. Une performance en forme de victoire pour the Queen Elisabeth.
Depuis 2005, et son premier succès sur l’UTMB, Elisabeth Lizzy Hawker est devenue un personnage incontournable de la course nature dans le Monde. Au mois d’août dernier, elle est définitivement la Reine du Mont-Blanc. Victorieuse pour la troisième fois sur l’UTMB version 100 miles – quatre avec le succès raccourci de 2010 – la Britannique avait surclassé toutes ses adversaires et la plupart des hommes. Treizième au général, Lizzy est seule au monde lorsqu’elle court autour du Mont-Blanc. Dans les Alpes, elle n’avait jamais été n’aura jamais été aussi vite. En revenant à Chamonix en 25 h 02’00 (25 h 19’41 en 2008), l’Anglaise s’est rapprochée de la performance 2009 de l’Américaine Kristin Moehl (24 h 56’01). Certes, il est difficile de parler de « record » sur une telle boucle, l’itinéraire mont-blanais étant à géométrie variable, mais la performance est remarquable. Ce tracé en mouvement n’est pas pour déplaire à La Britannique. « Si ma première victoire sur l’UTMB tient une place particulière dans mon esprit, chaque succès est singulier, car la montagne est différente à chaque fois et je dois m’adapter. Cette année, j’ai été en difficulté à cause d’une douleur à la hanche, mais la passion pour la montagne m’a donné des forces pour finir. »
« Je sais que je peux m’explorer davantage… »
Dans la souffrance, chacun a tendance à repousser ses limites afin d’aller plus loin. Lizzy s’est contentée d’une exploration… « Sur l’UTMB, je ne pouvais pas aller plus loin, explique-t-elle. Car par moments, j’étais vraiment épuisée. Cependant, sur d’autres épreuves, je sais que je peux m’explorer davantage… Il y a encore beaucoup de courses qui me font rêver. Pas seulement sous la forme d’une compétition, il y aussi des challenge spersonnels que j’aimerai réaliser. Mais je n’ai pas le don d’ubiquité et je dois faire des choix. » Lizzy donne toujours un sens à ses courses et la solitude ne l’effraie pas. « Ce n’est pas ce que je recherche. J’aime la compagnie et la camaraderie. Dans la montagne, je ne suis jamais seule. Alors qu’en compétition, il m’arrive de l’être… » Autour du Mont-Blanc, sa « solitude » fut inaccessible.
Cette solitude en ultra-trail, Lizzy l’a également connue lors des 24 heures des Championnats du Commonwealth, fin septembre 2011. En établissant un nouveau record du Monde féminin sur la route (247,076 km), l’Anglaise a également remporté le classement général devant le Gallois John Pares (244,335 km) et l’Australien David Kennedy (236,929 km). C’était la première fois qu’elle courrait aussi longtemps sur le bitume. Certes, elle avait déjà l’expérience du 100 km, championne du Monde en 2006 à Séoul (7 h 29’12) et médaillée de bronze en 2010 à Gibraltar, mais multiplier par presque 2,5 un kilométrage asphalté ne fut pas sans crainte… « J’ai eu de nombreuses appréhensions dans le fait de courir tant d’heures sur la route, après un été sur les sentiers, explique-t-elle. Je pense que l’attrait de participer à ces 24 heures, d’essayer quelque chose de nouveau sans avoir d’attente et en me laissant juste « être » dans l’instant, peuvent expliquer ma réussite. Comme à chaque course, j’espérais partager une expérience et vivre chaque instant en donnant tout ce que je pouvais. En gagnant, j’étais fière de donner un exemple et de montrer que les hommes et les femmes pouvaient être très proches sur les courses d’ultra. »
« Un voyage physique, mental et spirituel … »
Avec 247,076 km, Lizzy a réalisé la distance de référence sur la route. Sur la piste, elle appartient à la Japonaise Mami Kudo : 254,425 km à Taipei, en décembre 2009. Néanmoins, la performance de l’Anglaise est remarquable puisqu’elle n’avait pas préparé cette course de 24 heures. Reste que sa préparation « utmbiste », tout du moins dans la quantité, n’est pas étrangère à sa réussite. Le talent a fait le reste. Car comme elle le souligne : « Je ne peux pas dire que la course de l’Utmb en elle-même ait été une bonne préparation. Il s’agissait d’une course en montagne, sur les sentiers et avec plus de 9500 mètres de montées et de descentes. Alors que les 24 heures s’est déroulé sur une boucle d’un kilomètre sur la route. Ce sont deux styles de course très différente. Mentalement et physiquement. Malheureusement, j’ai été incapable de faire une vraie préparation pour les 24 heures. D’abord parce qu’il est difficile de trouver des routes plates à la maison, en Suisse. Ensuite, parce que j’ai été très occupé avec la planification de mon projet Himalaya. J’étais donc loin de me concentrer sur les Championnats du Commonwealth. »
A l’instar de Kilian Jornet, Lizzy Hawker est une athlète à part dans ce « nouveau monde » de l’ultra-fond, qu’il soit sur route, en nature ou aventure. S’il existe des différences sur le plan physique, physiologique et technique, au niveau mental, les efforts se ressemblent. « Chacun a son propre défi mental, poursuit Lizzy. Mais à la fin, pour faire face au défi physique, le corps et l’esprit doivent toujours essayer d’être « dans l’instant » et permettre ainsi à votre course de devenir une méditation en mouvement… Je pense que chaque « discipline » a son propre défi physique, mais comme chaque course est différente, il faut juste apprendre à composer avec le « moment présent ». En écoutant Lizzy, d’aucuns comprennent que courir et exister ne font qu’un dans sa vie de tous les jours. Un art de vivre qui en fait un exemple et qui lui permet de donner une autre définition à la course à pied. « J’ai toujours su que je devais faire de l’endurance, mais je ne pouvais pas prévoir comment il pourrait s’exprimer… La course n’est pas une fin en soi. Ce n’est pas que de la compétition où j’essaie à chaque fois de donner le meilleur de moi-même. C’est aussi un voyage physique, mental et spirituel. Un voyage dans lequel il faut savoir se surprendre… Devenir plus « connu » aux yeux des autres vous donne une responsabilité, mais aussi une opportunité incroyable. Car si par ma course, je peux toucher les gens, les inspirer et donner un sens plus profond au fait de courir, ce serait ma plus grande réalisation… Je pense même que c’est mon rêve… »
« Danse dans le ciel… »
Le rêve de Lizzy aurait dû se poursuivre sur les Chemins du Ciel, au Népal, en octobre 2010, avec la traversée de l’Himalaya Népalais par le Great Himalaya Trail. A l’instar de la Via Alpina dans les Alpes, il y a une « route idéale » et plusieurs variantes dans l’Himalaya. Le tracé que Lizzy avait entrepris de faire totalisait 1700 km (+/-75.000 m). Un tracé qui comportait deux passages en version alpiniste (Amphu Lapsa et Tashi Lapsa) afin de relier les vallées du Makalu, de l’Everest et du Gaurishankar en serrant au plus près ces massifs et ainsi éviter les « up and down » des contreforts himalayens. Avant sa tentative, trois traversées de l’Himalaya en version course à pied avaient été réalisées au Népal. En 1983, par les Britanniques Richard et Adrian Crane (1700 km, +/- 57.000 m) en 48 jours. En 1994, par les Français Paul-Eric Bonneau et Bruno Poirier (2000 km, +/-55.000 m) en 42 jours. Et enfin, l’an passé par l’Anglais Sean Burch (1700 km, +/-75.000 m) en 49 jours. Des distances, des dénivelés et des durées différents dûs aux itinéraires dictés par les conditions météorologiques et politiques. Les traversées des duos britanniques et français étaient plus centrales, tortueuses et sans assistance.
Lizzy avait choisi de rester le plus longtemps possible sur la « route idéale » du Great Himalaya Trail. Elle fut donc contrainte d’avoir une assistance pour franchir les hauts cols du Khumbu qui nécessitait un équipement lourd et la présence de guides népalais. « Mon projet était de suivre le GHT d’Est en Ouest, du Camp de Base du Kanchenjunga jusqu’à Hilsa, explique-t-elle. C’était aussi un rêve… Je voulais traverser ce beau pays en me déplaçant rapidement, avec légèreté et un soutien minimal. C’était un voyage personnel avec mon corps, mon esprit et mon âme, mais aussi un partage avec les autres, car je souhaitais que cette expérience devienne quelque chose de profond… C’est du Camp de Base du Kanchenjunga (5.144 m) que mon « Sky Dance » a commencé, le 13 Octobre. Pendant les six premiers jours, tout s’est bien passé et j’ai pu franchir le Nango La (4.776 m) et le Lumbha Sambha La (5.100 m). Puis, j’ai perdu un sac où se trouvaient les cartes, les permis et mes moyens de communication, dont le téléphone satellite. Il n’était pas très sage de continuer ainsi et lorsque j’ai atteint Chyamtang, le 21 Octobre, j’ai décidé d’arrêter ma danse dans le ciel… Ainsi, je conservais une nouvelle chance dans ma vie de reprendre ce voyage interrompu… »
« Une course difficile, mais un voyage incroyable… »
De retour à Kathmandu, Lizzy a décidé de participer à l’Everest Sky Race (235 km, +11000, – 7000 m en 9 étapes), au sein d’un peloton de 30 coureurs. L’ESR 2011 était taillé pour les vrais coureurs de montagne. Au départ de Dolakha, le nouveau tracé est néanmoins passé par les sites qui ont fait la réputation de la course : Renjo La (5.340 m), Gokyo Ri (5.350 m), Cho La (5.420 m) et Kala Pattar (5.540 m), sans oublier les Lacs Gokyo (4.720 m)… Mais aussi par des endroits « Terra Incognita », comme la vallée séculaire de la Rolwaling et le col mythique du Tashi Lapsa (5.755 m). Un passage qui a conféré à l’ESR 2011, le statut de plus haute compétition du Continent Montagne : l’Himalaya. Mais l’opus V fut d’abord « vert » et sub-alpin, avant de retrouver l’univers minéral et himalayen de la haute vallée du Rolwaling et du Khumbu, face au Cho Oyu (8.153 m), le Lhoste (8.501 m), le Lhoste Shar (8.383 m), le Makalu (8.475 m) et le Mont-Everest (8.850 m). La participation de Lizzy Hawker a donné une autre dimension à l’épreuve himalayenne. « Autant j’étais triste d’arrêter mon « Sky Danse » que j’étais impatiente de courir sur les Chemins du Ciel… Ce fut avec mon cœur et mon âme et j’ai vécu une course difficile, mais un voyage incroyable que j’ai « exploré » avec passion, calme et patience… »
Lizzy Hawker – The Queen Elizabeth, comme la surnomme les Népalais – a réussi une course remarquable en remportant quatre des neuf étapes. Elle fut également en tête du classement général jusqu’au sommet du Gokyo Ri (5.350 m), terme du sixième jour de course. Du jamais vu au Népal. Elle a ainsi démontré qu’elle était la meilleure ultra-fondeuse de la planète, de l’ultra-mountain au 24 heures, en passant par les courses par étapes. C’est en compagnie des deux derniers vainqueurs, Jorbir Rai (2008) et Deepak Rai (2009), que Lizzy a terminé l’ESR 2011. Une ultime étape de folie ! De Lobuche (4910 m) à Pangboche (3.930 m), en montant au Kala Pattar (5.540 m), Lizzy, Jorbir et Deepak ont réalisé 4 h 18 ! Pour mémoire, il y avait 30 km (+850 m, -2250 m) et les coureurs avaient leur sac sur le dos (7 kg). « L’étape finale fut de toute beauté ! A l’image du parcours et avec une vue incroyable sur le Mont Everest (8.850 m), raconte-t-elle. J’étais heureuse de pouvoir courir avec les deux Népalais et une nouvelle fois, fière de montrer que les hommes et les femmes pouvaient également être du même niveau sur ce genre d’épreuve. L’Everest Sky Race fut une course pleine d’humilité et de courage. Et si j’aime les défis qui demandent un profond engagement, je préfère qu’il soit jugé sur l’élégance et l’esprit du voyage. Terminer main dans la main, avec Jorbir et Deepak, en fut un bel exemple. »
De l’Everest Base Camp à Kathmandu…
La performance de Lizzy sur l’Everest Sky Race n’est pas surprenante. Dans l’univers himalayen, elle est dans son élément. N’oublions pas qu’avant d’être la triple vainqueur de l’UTMB version 100 miles, championne du Monde du 100 km et recordwoman du Monde des 24 heures, l’Anglaise a été alpinisme et pratiquée le ” ski-mountaineering “. Elle a notamment réalisé une première dans l’Himalaya Indien avec l’ascension à ski du Kalanag (6.387m) en 2003. En 2004, ce fut le Mount Waddington (4 016 m) en Colombie britannique; en 2005, la traversée du Kackar Range en Turquie et en 2006, celle de Ak-Shirak Range au Kyrgyzstan, l’extrémité occidental de l’Himalaya. Début 2010, Lizzy s’était déjà classée troisième au général de l’Annapurna 100 km, derrière deux Népalais. En 2007, en compagnie de Stephen Pyke, elle avait relié l’Everest Base Camp à Kathmandu en 3 jours, 2 heures et 36 minutes. Elle connait donc bien les Chemins du Ciel.
A l’issue de l’Everest Sky Race, Lizzy n’a pas souhaité poursuive sa course jusqu’au sommet du Lobuche Est (6.119 m)… Pendant que sept sky-racers devenaient summiters, elle est revenue en courant jusqu’à la Capitale népalaise. En 2007, elle avait relié l’Everest Base Camp à Kathmandu en 74 heures et 39 minutes en duo. Quatre ans plus tard, elle a couru en 71 heures et 25 minutes ! « Il est difficile de définir une distance et un dénivelé et ce que j’ai réalisé peut être considéré comme un « record ». Mais je préfère que cette course soit comme une « danse dans le ciel » dans le respect de l’âme de la montagne et des cultures himalayennes. » Paroles d’une reine de l’ultra sous toutes ses formes : the Queen Elisabeth.
Bruno Poirier, 2011.